Gotainer : 12 pieds sur terre

Richard Gotainer : décolletage immédiat

C’est au Lucernaire, à Montparnasse, que Richard Gotainer a décidé, chaque week-end, de dissocier les textes de la musique de ses œuvres.

L’œuf ou la poule ? Ses textes ont-ils engendré la musique ou l’inverse ? Il ne nous le dit pas.

Mais on déguste au cours de cette soirée la substantifique moelle de ses grands classiques.

En premier lieu, « le Youki » (« C ki, ah ? C ki ? »), le tube qui a fait marrer la France entière pendant des années. Désolidarisé de sa rythmique, le jappement devient un énorme coup de poing dans la gueule de la bourgeoisie.

Quant aux “Quatre Saisons”, le Magnum Opus de l’amuseur – qui, on le découvre, n’est pas seulement drôle – on est enfin plongés dans des textes épurés, dont la beauté relève d’une mise à jour de Victor Hugo. « C’est le printemps, les affaires ont repris ». Malheureusement, ces lyrics avaient été écrasés dans l’album par une musique si belle (de Claude Engel) qu’ils étaient presque passés au second plan. Un peu comme un grand bourgogne blanc écraserait une truite au bleu de Paul Bocuse. D’autant que la couverture, certes géniale, laissait accroire qu’il ne fallait surtout pas prendre l’œuvre au sérieux.

Une couverture d’album qui orientait mal l’auditeur

Or, ici, au Lucernaire, on est interdit voire bouche-bée, devant une prose qui sera enseignée dès lors que les morts ne seront plus seuls à avoir droit de cité dans les écoles.

L’épuration de cette soirée n’est néanmoins pas totale puisque le guitariste Brice Delage (guitare électrique) vient ponctuer, sans vergogne mais avec talent, la déclamation.

Et, comme toujours, la production de Richard Gotainer, malgré son intitulé (vérifiez votre dictionnaire hébreu) est hautement professionnelle.

JP Jumez

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Gotainer : 12 pieds sur terre

Deux auteurs, un compositeur, un metteur en scène, un arrangeur et un interprète nous délivrent un spectacle à couper le souffle* : sur le thème des pollueurs de la terre, « La Goutte au Pépère » est une véritable comédie musicale – en alexandrins – mettant en scène neuf personnages, tous chantés, mimés, dansés par… un seul homme (enfin, à ce stade, peut-on encore le qualifier d’homme, ce Richard Gotainer ?).

causerie conduite par Jean-Pierre Jumez

– Richard Gotainer, la goutte en question, elle est alcoolisée ?

– Ben… c’est la gnôle, quoi ! Le passage obligé, généralement imbuvable …

– Mais en en faisant l’apologie, vous risquez la censure, de nos jours ?

– Pourquoi ?

– Mais vous le savez bien, les boissons nobles sont attaquées de toutes parts ; on assiste à une véritable frénésie anti-alcool ; au secours, l’eau revient !

– Ecoutez, moi, je ne lis pas la presse. Mais ce que je puis vous dire, c’est qu’en matière d’art de vivre, dans mon entourage, RAS ! Sinon, d’ailleurs, je doute que mon spectacle ait vu le jour.

– … ?

– Eh oui ! Tout est parti de plusieurs déjeuners arrosés en compagnie d’Eric Kristy. Au plus fort de l’ivreté, quelques rimes improvisées sur une nappe de papier inondée de nos larmes – je vous rassure, notre vallée de larmes était irriguée par le rire …

-… rien n’est absolu, sauf l’humour, disait Einstein…

– …un thème vaguement écologiste (attention, je n’ai pas dit alcoologiste), une vague considération commerciale (aucune comédie musicale sur les scènes françaises à l’époque), une vague d’optimisme (les producteurs vont se précipiter, bien sûr) et c’était parti : nos alexandrins allaient submerger le monde !

– Il restait tout de même quelques cases à remplir !

– Oui, mais vous savez ce que c’est, quand la bonne humeur s’inscrit dans le temps ! Un compositeur, un metteur en scène, un producteur, un orchestre, neuf comédiens-chanteurs-danseurs (d’ailleurs rares en France), un théâtre… tout cela, ce sont des détails en regard des fous rires gargantuesques qui dévastaient notre bon sens !
 
LA “GOUTTE” FAIT TOMBER LES CLOISONS DE L’HYPOCRISIE !
 

– Fous rires suffisamment ravageurs pour vous permettre de gagner votre pari !

– Minute, papillon ! Il aura fallu six années pour affûter nos larmes et les faire aboutir.

– Une galère, quoi.

– On ne peut pas dire cela. Nous avons été persévérants, mais pas acharnés. Résumons : outre un écheveau de problèmes, notre idée initiale impliquait que des gens s’impliquassent.

– Evidemment : 1) Le compositeur

– Là, mes antennes étaient déployées et c’est en emmenant mon fils à un spectacle que j’ai rencontré Etienne Perruchon.

– Donc vous lui avez remis le texte et il vous a pondu une partition ?

– Pas du tout ! Moi, je ne joue pas d’instrument, mais je sais jouer du musicien. Les séances de création se font… de concert. Le compositeur propose des thèmes. Lorsque je fais la moue il met un bémol; lorsque je me déride, c’est le dièse victorieux.

– 2) Les musiciens

– Nous les avons trouvés à Sofia, en Bulgarie, à la radio nationale : le Sofia Symphony Orchestra. Il faut dire que grâce à ma vieille complicité avec Celmar Engel, mon gourou du son, je n’étais pas inquiet. Nous aurions forcément le top.

– 3) Les comédiens-chanteurs-danseurs

– À ce stade, nous avons trouvé des volontaires pour faire les premiers bouts d’essai.

– 4) Le producteur

– Dès le départ, nous avons fait circuler le projet chez les professionnels. C’est ainsi que Patrice Lecomte, Claude Lelouch et d’autres ont joué notre idée gagnante, mais sans pouvoir s’engager. Il faut en effet savoir – contrairement à ce qu’on croit – que les grands producteurs ne se contentent pas de gérer administrativement un projet, mais s’y fondent totalement, tout comme les autres artistes. Et ceux-là étaient déjà pris pour des années. Mais force est de reconnaître qu’au fur et à mesure des présentations, une onde de découragement nous a recouverts. Vous savez, le fameux « J’y arriverai jamais ». Si je résume : un projet qui demande énormément de moyens ne trouve pas preneur, alors que, même avec des moyens, le projet en question restait aventureux ; et puis, simultanément, comme par hasard, des comédies musicales émergent par-ci par-là. De quoi sabrer le moral plutôt que le champagne. Mais pas pour nous. Le défi était simplement plus grand, donc plus attrayant. ” Eh ben vous allez voir ce que vous allez voir ! Puisque c’est comme ça, j’vais le faire tout seul, le spectacle “, décidé-je après une bouteille de bordeaux !

– Mais c’était vous fouetter avec un chat à neuf rôles !

– Exactement ! Et puisque ce n’était pas faisable, j’allais le faire ! Mais il me fallait un comparse…

– 5) …le metteur en scène ?

– Exactement. C’est au cours d’un showcase** que j’ai exposé l’idée à Jean-Christophe Barc, qui cherchait alors à m’engager en tant que comédien. Il a plongé sur-le-champ. Mais il fallait adapter les textes, la musique, créer un espace virtuel pour les neuf personnages, me transformer en mime-chanteur-danseur, calculer chaque ressource du tréfonds de chaque souffle, introduire un contrepoint (deux chanteuses tenant le rôle du choeur antique)… Jean-Christophe nous a simplement bouclés en Bretagne pour une présentation publique qui devrait avoir lieu… deux mois plus tard, avec un mot d’ordre simple : échec interdit pour mission impossible.

– Mais c’est un exploit physique incroyable, pour vous !

– Oh, l’aspect physique disparaît complètement derrière la performance mentale. Il peut arriver qu’en trois secondes, j’enchaîne trois masques. Et la musique n’attend pas ! Ce n’est pas le moment de mélanger dactyles et spondées, de décaler les hémistiches ou de planter les moues ! La moindre anicroche peut être fatale. Les enchaînements sont souvent diaboliques et pourtant, l’élocution doit rester parfaite. Les mimiques ne peuvent en aucun cas être équivoques (le spectateur ne doit pas se tromper de personnage !). Le spectacle doit être aussi limpide qu’avec une distribution complète. Bref, le message doit être clair-clair (le clair-obscur étant réservé aux lumières).

– Une petite gougoutte pour s’encourager, alors ?

– Justement pas ! Alors que j’ai toujours pris un remontant (en général du bordeaux) avant de monter en scène, ici, je suis un régime de cosmonaute. Rien, ni solide, ni liquide, qui puisse affecter une diète totalement dédiée à l’accumulation d’un maximum d’énergie et de concentration à l’instant T (ndlr : 21h 15). Mon seul relâchement possible est le jour de relâche. Des militants de votre parti ont d’ailleurs réussi à m’entraîner une ou deux fois, et je l’ai payé cher sur scène.


Être sobre sur scène ?

Le cas Gotainer est intéressant : on connaît les artistes qui ont besoin de “s’encourager” et ceux qui au contraire planent en vols secs. Samson François, Claude Brasseur et autres chanteurs ou jazzmen – nous pourrions citer des contemporains ! – cherchaient (et trouvaient) l’inspiration ailleurs que dans un verre d’eau, alors que nombre de bêtes de scène la jouent prudente. Sans ouvrir ce vaste débat, il semble bien que les monstres ayant totalement dépassé les contraintes techniques cherchent dans la “goutte” l’étincelle qui leur permettra d’enflammer le public, alors que les artistes conscients de la difficulté de leur tâche évitent tout risque. En passant d’une approche à l’autre, Richard Gotainer semble indiquer que dans ses spectacles “classiques”, il se sente suffisamment libre pour varier les plaisirs d’une soirée sur l’autre, alors que dans l’horlogerie imposée par “La Goutte au Pépère”, il se sente plus en représentation qu’en présentation : il exécute une mécanique dont l’inspiration est antérieure. Il passerait ainsi de l’état d’interprète à celui d’exécutant.

Jean-Pierre Jumez


– Donc une parenthèse sobre dans votre vie. Un adieu aux larmes qui n’est visiblement qu’un au revoir. D’ailleurs, vous en faites l’éloge, de cette goutte !

– Que voulez-vous, cette « goutte », elle abat les cloisons de l’hypocrisie, elle est un révélateur, entraînant le meilleur ou le pire, l’amour ou la haine. Elle est en somme… le pentathol du pauvre.

DISCOGRAPHIE DE RICHARD GOTAINER (extraits) :

  • 1977 : Le Forgeur de tempos (Philips)
  • 1979 : Contes de traviole (Philips)
  • 1982 : Chants zazous (Gatkess)
  • 1987 : Vive la Gaule (Virgin)
  • 1990 : Ô Vous (Gatkess)
  • 1992 : D’amour et d’Orage (Gatkess)
  • 1994 : Elle est pas belle la vie ?!? (Flarenasch)
  • 1997 : Tendance banane
  • 2008 : Espèce de bonobo (Gatkess)
  • 2018 : Saperlipopette (or not Saperlipopette) (Gatkess)
  • 1982 : Youpi, c’est l’été
  • 1982 : Le Mambo Du Décalco