Analyse musicale des quintettes

ANALYSE

Le premier quintette en Ré mineur, l’un des plus impressionnants de la série, sinon le plus impressionnant, révéler d’emblée les caractéristiques du style de Boccherini. Dans l’Allegro moderato initial on remarque cette abondance, chère au compositeur, d’idées thématiques qui se ventilent entre un premier élément qui semble éparpillé puis prendre forme peu à peu et une seconde idée d’allure majestueuse. C’est au cours du développement (basé sur les éléments déjà exposés) qu’apparaît un fragment musical inattendu, sorte de « nocturne » qui précède la réexposition, celle-ci, en contraste complet avec le début de l’œuvre s’achevant sur une reprise de l’élément « majestueux ». Le Cantabile reflète l’esprit « nostalgique » du compositeur aussi bien dans le caractère de la mélodie accompagnée qui ouvre le morceau que dans le dialogue mystérieux entre les pizzicati des cordes et les gammes descendantes de la guitare soliste, comme si le compositeur entendait faire vagabonder l’esprit de l’auditeur sans but précis, en opposition avec des fragments très écrits où se rejoignent tous les instruments. Le Minuetto illustre la volonté du compositeur d’utiliser le moule habituel de ce mouvement (division de l’exposition du menuet en deux fragments repris; trio, lui-même divisé en deux fragments; puis répétition du menuet sans reprise) pour y glisser des trouvailles d’écriture fort éloignées du seul esprit de la danse. Certes, l’élément générateur rappelle étonnamment une danse « La Tiranna » incorporée dans un quatuor à cordes de 1792, mais, dans la seconde partie du menuet, l’accent à contre-temps (sur le 3ème temps) et l’écriture « savante » (imitation, marche harmonique modulante) du Trio semble refléter un compromis recherché entre musique populaire et musique savante dans un mouvement ordinairement « léger », inspiré par la danse. Le Finale, au départ nerveux et bondissant, annonce quelque peu la fougue et la verve dont le tout jeune Rossini dota ses Sonata a quattro. A noter que l’œuvre se termine par un rappel de l’élément « majestueux » du tout début du premier mouvement, donnant ainsi à l’œuvre une structure « fermée » idée novatrice que Boccherini avait déjà employée dans des œuvres antérieures.

On pourrait répéter toutes ces remarques à propos des quintettes suivants. Limitons-nous, dans le quintette n°2 en Mi majeur, à souligner, dans le Maestoso assai qui commence l’œuvre, l’opposition nette entre les idées thématiques, l’étrange effet d’un unisson aux cinq instruments, dans la nuance pp, pour enchaîner deux idées et l’extraordinaire virtuosité du premier violon. Le second mouvement combine un Adagio solennel où se glisse une quasi « romance » et un Allegretto, saltarelle vive et légère. La Polacca finale joue le rôle d’un menuet très développé, avec de soudaines modulations, et on notera dans le Trio, cet effet typiquement boccherinien de l’attente suspensive avant la « chute » sur un élément déjà entendu.

L’Allegro moderato du 3ème quintette en Si b majeur oppose l’allure nonchalante du début à un élément plus rythmiquement structuré; le Tempo di Minuetto est enrichi d’un Trio aux modulations séduisantes; l’Adagio, où la guitare est omni-présente, incorpore des accords « hispanisants » dans le système modulant du « style classique viennois »; l’Allegro final, où tous les instruments sont traités également (la guitare réexpose, elle aussi, en soliste, le thème initial) révèle l’emploi inattendu du silence : ce ne sera pas le seul exemple de l’usage de ce procédé dans la production du musicien.

Le quintette n° 4 est, peut-être, le plus pittoresque dans la mesure où il réunit une Pastorale, caractéristique du style « élégant » de Boccherini, et un Grave et Fandango, représentatif de la « nervosité » espagnole. Le second mouvement, Allegro maestoso, est un véritable mouvement de concerto pour violoncelle (exploité dans le registre aigu).

Le 5ème quintette en Ré majeur est doublement « unifié » : le thème du quatrième mouvement, prétexte à huit variations qui combinent caractères italiens et espagnols (très marqués, eux, dans la 8ème variation) n’est autre que le thème initial du premier mouvement Andantino pausatto. Le thème léger et syncopé qui féconde le troisième mouvement clôt, lui, la série des variations par un bref rappel inattendu. Quant au Minuetto allegro, il semble annoncer l’esprit schubertien.

Enfin, le quintette n° 6 en Sol majeur montre l’habileté de Boccherini à lier des fragments qui risqueraient de paraître disparates, tel le premier mouvement Allegro con vivacita où la 2ème partie recoupe pratiquement la 1ère partie, et le troisième mouvement Tempo di Minuetto (dont le thème est exposé « sévèrement », en canon) où la liaison entre la fin du menuet et le début du Trio se fait ingénieusement grâce à un triolet, ornement véritablement espagnol. L’Andantino lento, deuxième mouvement, évoque une « valse-sérénade » mélancolique; un bref final d’allure vive, comme une danse espagnole, Allegretto, termine cette série de quintettes.

Oeuvres de veine populaire, dira-t-on, sans visée de « profondeur » ? On pourrait en discuter . . . En tout cas, elles sont révélatrices de ces combinaisons, fréquentes dans l’œuvre de Boccherini, entre la difficulté technique (les exécutants doivent être des virtuoses) et la clarté dans l’organisation de la texture instrumentale, entre l’art italien et l’esprit espagnol, entre l’emprunt à des éléments mélodiques et rythmiques issus du terroir local et le soin avec lequel ils sont sertis dans le « style classique ». Oeuvres classiques ? Certes. Mais cette aisance et ce charme qui, dans la douceur des sentiments, se dégagent de ces pages et finissent par imprégner l’esprit et le cœur : ne serait-ce pas une forme de romantisme ?

Septembre 1983

Yves GÉRARD Professeur au Conservatoire de Paris

BIBLIOGRAPHIE

Luigi Boccherini : Sei quintetti con chitarra. Edition critique par Yves Gérard (Paris, Heugel, collection Le Pupitre 29; partition (1974), parties séparées (1975) Le présent enregistrement utilise cette édition

Yves Gérard : Catalogue of the works of Luigi Boccherini(London, Oxford Un. Press,1969)

Louis Picquot : Notice sur la vie et les ouvrages de Luigi Boccherini (Paris, Philipp, 1851; 2ème édition en 1930 avec des Notes et Documents nouveaux par Georges de Saint.Foix )

Germaine de Rothschild : Luigi Boccherini. His life and work (London,Oxford Un. Press, 1965)

Matanya Ophee : Luigi Boccherini’s guitar quintets. New evidence (Boston, Orphée, 1981) Essentiellement une étude sur les problèmes musicologiques soulevés par les compositions pour guitare de Boccherini